11 décembre 2016

Nathan Bontrager Elisabeth Coudoux Nora Krahl Hugues Vincent/ Audrey Lauro Yuko Oshima Pak Yan Lau/ Thanos Chrysakis Christian Kobi Christian Skjødt Zsolt Sörés/ Evan Parker Daunik Lazro Joe Mc Phee/ Frank Gratkowski Sebi Tramontana


The Octopus Subzo{o}ne Nathan Bontrager Elisabeth Coudoux Nora Krahl Hugues Vincent Leo records CD LR 770

Un rare quartet de violoncelles pour une musique exigeante, sans concession, inspirée de la musique contemporaine pointue et entièrement improvisée par de jeunes artistes qui ont un réel projet et de belles idées en commun. 14 pièces généralement courtes où chacun est tout ouïe et où l’intention de départ se transforme parfois en cours de route. Je ne connais que deux enregistrements de quartet contrebasses en improvisation : Rotations de Sequoia (Andrea Borghini, Meinrad Kneer, Klaus Kürvers et Miles Perkin) et After You’ve Gone (Barre Phillips, William Parker, Joëlle Léandre et Tetsu Saïtoh). Cet enregistrement de The Octopus semble être une véritable première en quatuor de violoncelles improvisé, mais au-delà de l’effet de surprise, l’auditeur se convaincra de la légitimité de l’entreprise au fil des morceaux écoutés. Outre l’excellence de chaque violoncelliste, c’est encore plus la mise en commun des potentiels et des idées, la symbiose et la complémentarité de chaque voix instrumentale qui séduisent. Plusieurs fondamentaux de la recherche musicale et instrumentale sont développés spontanément : minimalisme, spectralisme, cadences répétitives, intervalles déconcertants, travail sur le son, les harmoniques, le silence ou au bord de celui-ci, halos fantomatiques, effets de miroir, agrégats sonores spécifiques aux cordes, toutes les vibrations des doigts sur la touche, etc…. Travail éminemment collectif : unis comme les quatre doigts de la main, deux garçons, deux filles… il est impossible de déterminer lequel des quatre produit tel ou tel son. Le niveau intense du travail collectif bonifie sans appel l’apport individuel de chacun et les transcende : The Octopus atteint un niveau élevé de réussite et de conviction qui va plus loin que la virtuosité et les qualités personnelles déjà considérables. Il est évident, à l’écoute de Subzo(o)ne, que les instruments à cordes frottées et leurs instrumentistes révèlent au mieux leur nature spécifique, leur richesse timbrale et leur destinée musicale qu’en se réunissant entre cordes et cela, mieux que s’il s’agissait de quatre autres instruments à vent identiques, par exemple. Cet album mérite d’être réécouté pour en saisir tous les ressorts, les angles, les déroulements des idées, des sons et des intentions. Il y a bien sûr une volonté de consensus, d’harmonie, d’intégrer au mieux chaque personnalité dans le groupe. Le sens de la forme et la logique musicale rencontrent la spontanéité et l’invention immédiates. Et donc naissent des surprises. Certains violoncellistes improvisateurs ont gravé des albums solos (je suis très curieux  d’écouter l’album solo de l’extraordinaire Okkyung Lee !), mais Subzo(o)ne doit bien être, en faisant fonctionner ma mémoire, l’article incontournable du violoncelle improvisé depuis que Tristan Honsinger  est apparu et a enregistré Garlic and The Fever, She et On Clapping (Live Performances SAJ-10) au Flöz à Berlin le 7 novembre 1976. Vraiment recommandé.

Lauroshilau : Audrey Lauro, Yuko Oshima, Pak Yan Lau Creative Sources CS 283 CD


Enregistré en mars 2013, lauroshilau réunit les talents conjoints de trois jeunes femmes impliquées à 100% dans l’improvisation radicale. Saxophoniste alto (plus que) très remarquable, Audrey Lauro a acquis un son et une démarche très personnelle que l’empathie et le sens pointu du travail du son de la pianiste Pak Yan Lau et de la percussionniste Yuko Oshima intègrent dans un flux, l’espace et le silence en se focalisant à l’extrême sur leur vision de leur musique collective. Leur recherche sonore individuelle est entièrement axée vers l’équilibre et une complémentarité originale. C’est avec une belle minutie que Pak Yan pince les cordes du registre aigu et bloque la résonnance du registre grave. Le toucher cristallin du piano préparé rencontre les notes pures, saturées ou détimbrées, égrenées par le souffle retenu et les sons métalliques en suspension de la percussion. La pianiste joue aussi du hohner pianet et de l’électronique (discrète) et sa collègue « batteuse » des samplers. Loin de se conformer aux schémas tirés au cordeau du minimalisme « réductionniste », ces trois musiciennes tentent avec bonheur de trouver et de découvrir ce à quoi leurs personnalités et leurs expériences les destinent lorsqu’elles créent ensemble. Six pièces où se font sentir la valeur de chaque note, l’intensité des gestes, la légèreté des sons, le silence traversé, une approche zen. Une dimension picturale plutôt qu’un théâtre gestuel. Une belle construction collective, originale et qui offre des perspectives renouvelées d’une écoute à l’autre.

Carved Water Thanos Chrysakis Christian Kobi Christian Skjødt Zsolt Sörés Aural Terrains TRRN1035

Aural Terrains est le label du compositeur, improvisateur et artiste sonore Thanos Chrysakis. Carved Water rassemble les efforts conjugués de Thanos Chrysakis, ici au laptop computer et live electronics, du Suisse Christian Kobi au sax soprano, du Danois Christian Skjødt aux live electronics and objects et du Hongrois Zsolt Sörés qui truste l’alto à cinq cordes, contact microphone, effects, dissecting tools, sonic objects et voix. Tour à tour dense, complexe, détaillé, minimaliste, contrasté ou hyperactif, ce quartet soudé explore les extrêmes des sons électroniques/ électroacoustiques provenant de techniques et de sources diversifiées élaborant un véritable voyage au travers de paysages sonores d’une grande richesse au niveau des textures, des timbres, des fréquences, des dynamiques. Kobi altère la voix du saxophone soprano pour le transformer en objet sonore s’intégrant parfaitement avec la nature des sons du groupe en utilisant des techniques alternatives cohérentes. Un nombre de plus en plus grand de musiciens se consacrent à cette démarche électronique bruitiste et Carved Water en est une superbe démonstration. Certains albums représentatifs servent souvent de documentation/ carte de visite dans le but de convaincre un éventuel organisateur de concerts. Vu la production pléthorique d’enregistrements (cfr le Creative Sources), on aurait tendance à ranger ce cd dans la pile des « écoutés une fois ». Mais la qualité, la variété des sons, leurs occurrences et transformations au fil de la performance (Opening Concert at the international sound installation exhibition ‘On the Edge of Perceptibility – Sound Art 1. Part 1  39:04  2. 11:40 Kunsthalle Budapest) font de ce disque une manière de manifeste. Un sens de la dérive et de la construction simultanées. Remarquable !!

Evan Parker Daunik Lazro Joe Mc Phee Seven Pieces Live in Willisau 1995. Clean Feed 397 

Juste retour des choses : vingt ans auparavant Evan Parker et Joe McPhee défrayaient la chronique du jazz d’avant-garde avec des concerts et des albums en solo manifeste : Saxophone Solos (Psi), Tenor (Hat Hut). Echoes of the Memory ouvre le disque : sux festivals de Willisau 1975 et 1976 : Joe McPhee avait fait des apparitions inoubliables, tout comme Evan Parker avec Alex von Schlippenbach et Paul Lovens. Daunik Lazro était lui sorti de sa boîte par les Gates of Tshee Park, un album qu’Hat Hut avait publié sur les conseils de Mc Phee. En 1996, le label Vandoeuvre avait produit le trio EP-JMP-DL enregsitré au CCAM de Vandoeuvre-lez-Nancy, lors d’une tournée Européenne en 1995. A cette époque les carrières d’Evan Parker et de Joe Mc Phee s’emballent : concerts et enregistrements se multiplient à un rythme effréné sur les deux rives de l’Atlantique et jusque dans les pays de l’Est. Vingt ans plus tard, le contenu d’une cassette se révèle être un des concerts de cette tournée : Willisau 1995 , là où tout avait démarré pour Joe Mc Phee : The Willisau Concert 1975 : https://en.wikipedia.org/wiki/The_Willisau_Concert . Malgré le son « cassette », le trio fait entendre son profond engagement, toute sa cohésion et les particularités de chaque improvisateur. C’est pour moi, un des meilleurs exemples de collaboration à plusieurs saxophones : ténor et soprano pour Evan, alto et baryton pour Daunik, alto et soprano pour Joe, sans oublier, la clarinette alto et sa pocket trumpet qui ne le quitte jamais. Florid est un solo caractéristique de Parker au soprano avec ses inimitables multiphoniques…. et des harmoniques qui s’entrecroisent…. Concertino in Blue démarre lentement sur un air de gospel entraîné par le baryton de Daunik qui décline la mélodie et la clarinette de Joe brodant un bourdon et le ténor de Parker qui descend du grave vers le médium. Au fil des minutes, baryton et clarinette tournent et retournent deux notes en boucle le ténor vrille. Une belle émotion. Tree Dancing une conversation intime, des sons vocalisés à la fois introvertis et/puis expressionnistes à l’alto par Joe. Un motif scandé est répété en chœur avec des décalages/ battements qui permettent aux sons individuels, reliés en escaliers et spirales de se superposer et de s’emboiter avec une réelle lisibilité. Cris ayleriens de l’alto. L’émotion devient intense, l’horizon se remplit et s’éclaire. Les trois improvisateurs négocient une conclusion où chacun tient un rôle particulier décisif, boucles, spirales, glissandi, bribes de mélodies enchevêtrées, bouquet de voix offertes, pulsations du souffle. Les voix s’apaisent, s’unissent : deux sopranos et un alto tuilent les derniers filets de voix. Une belle aventure !!

Live at Spanski Borci : Frank Gratkowski Sebi Tramontana Leo records LR CD 779

Duo de souffleurs pour saxophone alto, clarinettes basse et Bb,  et trombone. Frank Gratkowski et Sebi Tramontana partagent bien des aventures et leurs musiques de manière mystérieuse comme le souligne le saxophoniste. Iztok Zupan du label Klopotec (et pas Iztok Kolopotek comme indiqué dans les notes de pochette) a encore visé juste. Un enregistrement exceptionnel qui rend la dynamique de la musique, précise, détaillée, intense, vivante…
Ce concert enregistré au théâtre Spanski Borci de Ljubljana concentre tout ce que le jazz d’avant-garde a de meilleur en laissant de côté ses tics, les certitudes, la routine et la facilité. Face à un marché de la free music atone et indifférent sur le Vieux Continent, des initiatives affleurent dans des petits pays aux quatre coins de l’Union Européenne : Lithuanie avec No Business Records, Portugal avec Clean Feed et Creative Sources, Suisse et ses festivals et concerts bien payés, et maintenant la Slovénie avec une activité soutenue et des labels comme Klopotec et Inexhaustible Editions. C’est donc Iztok Zupan, à qui l’on doit les tout récents enregistrements de McPhee et Lazro, Marraffa et Guazzaloca sur son label Klopotec, qui vient d’immortaliser l’une des plus belles conversations de la décennie, en marge du jazz libre, de la musique contemporaine et de l’improvisation totale, mais aussi proche de l’esprit d’une musique populaire : folklore imaginaire ? Gratkowski qualifie les quinze pièces improvisées d’Instant Songs. La démarche de son collègue tromboniste, Sebi Tramontana, évoque le magnificent Roswell Rudd, tournant au tour d’un point fixe marqué par une pulsation les mêmes deux ou trois notes  comme le fantôme de Kid Ory derrière / autour des lignes du souffleur. Celui-ci manie avec une belle adresse la clarinette en si bémol, un instrument ingrat. On l’entend sur son versant lyrique et mélodique agrémenté de techniques alternatives comme dans ce merveilleux Dancer où il slappe le bec de la clarinette basse dans la tonalité de la mélodie avec une précision confondante. S’il y a virtuosité, elle n’est pas mise en avant mais au service de l’expression et de la qualité des échanges. D’ailleurs, Steve Beresford ne s’y est pas trompé : on lui doit les notes de pochette dans lesquelles ses allusions et commentaires soulignent indirectement toute la saveur, l’inspiration et le lyrisme sincère des deux amis qui nous ouvrent leur cœur. Revelation, Spirited, Time and Space, Dancer, Singer, You’re Though, Series of Dramatic Events, Daydream, Deceiver, Nocturne, etc… chaque pièce exprime des sentiments, une intention, un feeling, une énergie concentrée, un rêve, un poème, un paysage… avec sa dynamique propre, sa couleur sonore, des inflexions spécifiques.

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